Anton Krupicka, notre grand frère
On a tous quelque chose en nous d’Anton Krupicka. Le coureur américain de 31 ans fascine la planète du trail, autant par sa “coolitude” que son mode de vie entièrement dédié au sport. L’Equipe lui consacre cette semaine un beau et grand format dans sa série “Explore”. Portrait d’un vrai-faux rustique.
> « NEANDERTAL GUMP »
« Cours, Anton, cours ! » A l’image de Forrest Gump, qui avance droit devant lui sans se poser de questions, Anton Krupicka ne calcule rien dès qu’il enfile ses baskets. Il pourrait faire sienne cette devise du héros du film : « La vie c’est comme une boîte de chocolats, on ne sait jamais sur quoi on va tomber. » Jamais de cardio ni GPS, torse nu aussi souvent que possible, un simple short échancré, mais un look qui détone : avec ses boucles-trous d’oreilles, barbe et cheveux flottant au vent, Anton incarne la “coolitude” absolue.
Une sorte de Neandertal des temps modernes qui inspire les êtres sédentarisés, mais jure ne jamais avoir rien calculé l’image qu’il véhicule. Ne le qualifiez pas de “coureur minimaliste”, il vous sortira ses 91 paires de baskets rangées jusque dans les placards de sa cuisine, pour vous prouver qu’il n’a rien d’un homme des bois.
Quand nous, coureurs de tous bords, rêvons d’une vie meilleure et plus simple, affranchie de nos contingences matérielles et proche de la nature, le coureur américain semble nous montrer le chemin à suivre. « Les gens ont envie de revenir à des choses basiques, naturelles, dit-il. Courir ? Il suffit de sortir et de partir, c’est quelque chose de simple et d’instinctif. » Plus qu’un principe de vie, il en a fait son moteur de vie.
Ne rien avoir d’autre à faire que ce qui nous plaît. Voilà le quotidien de ce vrai épicurien, fait de running et d’eau fraîche. Le pied intergalactique. Même pas imaginable en rêve. Son pied à terre verdoyant dans le Colorado : des forêts, des chemins sinueux et escarpés à profusion, et juste le chant des oiseaux pour lui rappeler combien il vit intensément : sur le papier, Krupicka a la vie rêvée des anges.
> MARATHONIEN A 12 ANS
Dans la réalité, Anton semble comme l’air : libre de se mouvoir et de vivre ses rêves comme il l’entend. Etre juste où il veut quand il veut, sans obligations professionnelles pesantes. Encore mieux que d’être millionnaire au Loto, en somme. Il en a une sacrée chance, le père Krupicka. En plus, il a l’air super accessible et sympa. Cool, man. Sauf qu’il faut être réaliste : une vie comme la sienne, ça n’arrive jamais par hasard…
A 12 ans, il s’offre son premier marathon. Encore plus têtu et inconscient que ses parents ! A même pas 18 ans, il avale déjà plus de 200 km par semaine. A 25, il dépasse allègrement les 300 bornes au compteur, profil montagneux s’il vous plaît. Avant de se rendre compte qu’en faire un peu moins, tout compte fait, c’est peut-être aussi efficace. Mais jamais moins de 200 km par tranche de 7 jours, évidemment.
Il est vraiment hors normes le gars Anton, installé depuis la fin de ses études à Boulder, au pied de la chaîne montagneuse des Flatirons. Ce démarrage précoce explique sans doute pourquoi il gagne, dès l’âge de 23 ans, quelques-uns des plus fameux ultra-trails américains (format 160 km) : Leadville Trail 100, Miwok 100k, Rocky Raccoon 100, avant de tenir tête à Kilian Jornet sur la Western States Endurance Run en 2010. Un “affront” au kilianesque Everest qui le révélera définitivement auprès des spécialistes.
> INSTINCTIF & LIBRE
Icône sportive depuis que les équipementiers New Balance et Buff l’ont enrôlé à plein temps en 2006, le diplômé de physique, philosophie et géologie aurait-il quelque chose de spécial que les – rares – autres ultra-trailers professionnels n’ont pas ? Kilian Jornet par exemple, référence absolue de « l’ultra-fond barré », est de toute évidence un à deux ton au-dessus au niveau performance. Pour autant, peu d’entre nous nous identifions vraiment à ce dernier, tant l’Espagnol a tout de l’athlète de haut-niveau : un millimétrisme et des gestes ordonnés qui suscitent l’admiration, mais qui paraissent tellement inaccessibles…
Krupicka, lui, on dirait notre petit ou grand frère, avec qui on a envie de partager plein de trucs : lunettes d’intello et casquette relevée, longue tignasse et barbe de quinze jours, toujours le sourire aux lèvres, joyeux déconneur et généreux buveur de bières, mangeant « à l’instinct » et à sa faim ; et, parce que la tête compte autant que les jambes, il s’évade dès qu’il le peut dans les livres en tous genres, sauf de course à pied ! Presque Monsieur tout le monde, mais pas complètement, c’est peut-être pour ça qu’on l’aime. Avec un style “baba-cool” qui contribue forcément à la grandeur du personnage.
> « EGO-GENTIL »
L’intéressé s’en amuse, conscient d’être devenu malgré lui une sorte de « produit marketing », révélé au monde entier sur les sentiers de l’Ultra Trail du Mont-Blanc. Une course qui ne lui a pas réussi jusque-là, mais dont il est ressorti un peu plus grandi en août 2014. Courant bras à l’air dans la nuit polaire, l’intrépide errant a été victime d’une terrible hypoglycémie après une nuit blanche à courir. Là où n’importe quel compétiteur aurait mis le clignotant, il n’abandonne pas. Question d’honneur. Il opte pour une sieste de 3 heures et termine 6 heures après François d’Haene. Accueilli dans les rues de Chamonix en rock-star, comme si c’était lui, le vainqueur.
Les spectateurs, qui avaient déserté la ligne d’arrivée, se ruent sur les barrières à l’annonce de son nom. Il a même droit à la musique réservée aux lauréats. Le speaker rugit comme s’il avait triomphé. Le discret Krupicka paraît gêné. Tant d’honneurs non mérités, ça le met mal à l’aise autant que ça le touche. Son immense sourire et son geste spontané pour remercier la foule font mouche. Il est comme ça, Anton : 100 % nature, spontané et accessible. Il est complètement free et il a tout compris.
A découvrir ici (cliquer sur l’image), le grand format video de 25 mn que lui consacre l’Equipe Explore :
Le site web et blog perso d’Anton Krupicka : http://www.antonkrupicka.com
Photos : ©Paul Petch, Anton Krupicka.
Mots-clefs : Anton Krupicka
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