Verticale de la Tour Eiffel, flop télégénique ?

Unique, grandiose, féérique… La mise en scène annoncée par Eurosport, qui retransmettait vendredi soir en direct la première montée chronométrée de la Tour Eiffel en courant depuis 1905, était alléchante. La montagne de fer a accouché d’une toute petite souris. Décevant.

> 700 METRES, 1 665 MARCHES… MOINS DE  10 MN

J’avais prévenu les enfants depuis plusieurs jours. « Désolé, mais vous n’aurez pas droit à votre habituel “On n’est pas que des cobayes” sur France 5 vendredi soir. Il y a un truc de dingue sur Eurosport, vous allez adorer. » J’étais tellement convaincu que je n’ai eu aucun mal à entraîner dans mon sillage toute la maisonnée, madame incluse. A l’assaut des 1 665 marches de l’édifice (0,7 km, 280 D+), 40 athlètes triés sur le volet venus du monde entier, ainsi que 20 « veinards » amateurs tirés au sort.

Je m’attendais à un truc dantesque. 3 heures de retransmission en direct pour un événement qui restera gravé dans toutes les mémoires, forcément. Quelle incroyable consécration pour cette monumentale Dame de fer, premier monument payant visité au monde, sortie de terre en à peine 26 mois en mars 1889 pour l’Exposition Universelle de Paris. Et dire qu’elle devait initialement être démontée quelques mois plus tard…

Edifice de tous les fantasmes, nombre d’exploits sportifs ont participé à sa légende. Rien qu’au sujet des montées-descentes par les escaliers, il y aurait matière à écrire un livre. Le premier zinzin “scalator”, le boulanger landais Sylvain Dornon, gravit le 9 septembre 1891 les 347 marches menant au 1er étage… sur des échasses ! Quelques mois après s’être rendu à Moscou par le même moyen.

> FORESTIER FOREVER

Ancêtre de “La Verticale de la Tour Eiffel”,  le “Championnat de l’escalier” fût organisé le 26 novembre 1905 par le quotidien Le Sport. Regroupant 225 concurrents répartis en cinq catégories (vétérans, pupilles, coureurs à pied, marcheurs et… footballeurs !), l’événement fût lui aussi très médiatisé. Gloire au laitier Forestier (photo), qui restera à tout jamais le 1er recordman d’une vertigineuse ascension : 700 marches avalées en 3’12 jusqu’au 2e étage. Respect man, peu de coureurs seraient aujourd’hui capables d’un tel exploit. Pour sa peine, le héros du jour aura droit à la Une du journal le lendemain et une belle récompense : un vélo Peugeot flambant neuf.

D’autres exploits farfelus suivirent, en particulier une descente à tombeau ouvert à vélo par le casse-cou Pierre Labric le 2 juin 1923, depuis le 1er étage de la Tour Eiffel. Quand on revoit les montures de l’époque, de vrais “tape-culs” sans freins, du Rémy Julienne coulait forcément dans ses veines. Un comité d’accueil à la hauteur de sa bravoure l’accueillit en bas des escaliers : les forces de l’ordre. « Complètement forrrrrbidden », mon cher ami !

110 ans après Forestier, qui allait inscrire son nom au palmarès de la première « Verticale de la Tour Eiffel », terrible et prestigieuse ligne droite vers le ciel, menant au 3e étage ? Grandissimes favoris : les spécialistes du circuit international « Tower Running WorldCup » (site officiel ici), qui avalent tout au long de l’année à la vitesse de Buzz l’Eclair les étages des principaux buildings du monde. De l’Empire State Building à New York (443 m, photo ci-dessus) à la Tour Taipei 101 à Taiwan (509 m), en attendant les 828 m de la Tour Burj Khalifa à Dubaï, plus haute tour  jamais construite par l’homme : plus de 100 000 timbrés ont participé en 2014 à ces ascensionnels « tournicoti-tournicotons » dans le monde, devenus sport national aux Etats-Unis. Voilà qui aurait plu à Pollux et son manège enchanté.

> REALISATION FLOP, FLOP, FLOP…

Habituellement absents de ces sprints qui réduisent en charpie les ischio-jambiers et en braises incandescentes les cages thoraciques surdéveloppées, les meilleurs coureurs de montagne français ont relevé le défi sur le parvis du champ de mars. Parmi eux, le multiple champion de France de trail Julien Rancon (1h05 au semi-marathon !) ou l’ancien vice-champion d’Europe de triathlon Cédric Fleureton. Enorme confrontation en perspective.

Oui, mais voilà. Tout ça, c’était l’alléchant programme sur le papier. La vérité vraie, c’est que j’ai longtemps attendu qu’il se passe quelque chose à l’écran. Bien que mordu de course à pied sous toutes ses formes, même par une insoutenable course d’escargots, je me suis ennuyé. La faute à une réalisation télévisuelle balbutiante. Inconcevable pour un tel événement. Tout juste quelques caméras fixes disséminées sur le parcours, des ralentis à gogo pour “meubler” à l’antenne, absence d’annonce de chrono et de classement sur la ligne d’arrivée, des coureurs chevronnés qui doublent des amateurs faisant s’emballer les commentateurs : « Oulala, oulala, c’est dingue, celui-là va faire un temps canon !!! ». Tout faux. Tout comme les incompréhensibles explications Bac+10 sur l’acide lactique : hors sujet.

La prochaine fois, messieurs les gentils organisateurs & réalisateurs, faites un départ commun en “mass start” comme c’est le cas à l’Empire State Building : bousculades assurées vu l’étroitesse des escaliers, mais au moins il y aura du piquant et du sang. Une vraie bagarre, quoi ! Rameutez les drones, les caméras commandées sur un filin, les Go Pro vissée sur la tête des favoris, des caméramen sportifs qui courent derrière les coureurs le plus longtemps possible. Innovez, bon sang !

> OH OUI, LAURYYYY !

On a eu droit au pompon avec le dernier à partir, dossard n°1 : le grandissime favori allemand Christian Riedl. Ses temps de passages ? On les attend toujours. Son chrono à l’arrivée ? Nada. Ahhhh, enfin les résultats officiels juste avant de rendre l’antenne : tiens, aux oubliettes le “teuton” Chreustian, qui finit pourtant 4e. Juste devant un épatant Cédric Fleureton qui concède 35’’ au vainqueur du jour, le stratosphérique polonais Piotr Lobodzinski (14’59 aux 5 km et 30’41 sur 10 km route tout de même), spécialisé dans les courses d’escaliers depuis cinq ans.

Pas une image en direct de sa course à l’écran, décidément très forts les p’tits gars d’Eurosport ! Il survole l’épreuve en 7’50, un vaillant 4,16 km/h qui en dit long sur la violence de l’effort. Ses poursuivants, le bulgare Nikolov et l’italien Dematteis, relégués à 22’’ (8’12). Heureusement, durant les 180 minutes de retransmission, on a beaucoup vu au micro la rayonnante Laury Thilmann, miss France 2011 et commentatrice d’un soir. Une maigre mais très belle consolation.

© Photos : Christophe Guiard, Anthony Chaumonte.