Tor des Geants, et puis quoi après… ?

Written by yesben. Posted in MOT A MAUX

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Quelques jours après l’arrivée tronquée du Tor des Geants 2015, où seuls six coureurs sont venus à bout des 336 km et 24 000 D+ autour du Val d’Aoste en raison d’une météo exécrable (course arrêtée), je m’interroge. Jusqu’où ira l’escalade des distances au royaume de l’ultra-trail ?

> INFLATION GALOPANTE

Mercredi dernier, le triomphe en direct de Patrick Bohard, Géant du Tor 2015 en un peu plus de 80 heures, m’a fait l’effet d’un électrochoc derrière mon écran d’ordinateur. Merde, ce type à la démarche d’un petit vieux de 95 balais n’est pourtant pas le 1er venu : 6e de l’UTMB, vainqueur des 120 km de la TDS, épatant lauréat du très exigeant Grand Raid des Pyrénées (GRP)… En le voyant arriver d’un pas hésitant, l’air anesthésié et mettant de longues secondes avant de pouvoir s’asseoir sur la chaise qui lui était tendue, j’ai été effrayé.

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Au point de me faire cette promesse : « Jamais le Tor s’il te plaît. Chasse tout de suite cette idée de ta tête. » C’est en réalisant que le coureur français n’avait dormi que deux petites heures en trois nuits et trois jours sur les chemins escarpés du massif italien, que j’ai pris conscience combien ces mecs-là sont prêts à tout. Même à aller au-delà du raisonnable, quitte à perdre en chemin une partie de leur intégrité physique. Questionnez les plus aguerris et semi-professionnels, ils le reconnaissent volontiers : rester lucide de bout en bout sur un tel périple est quasi mission impossible. Oui, eux aussi dérouillent. Alors imaginez derrière…

Faut-il s’inquiéter de cette inflation kilométrique qui a envahi la planète course à pied ? Une croissance à deux chiffres à faire pâlir les économistes. Songez qu’il y a une dizaine d’années, les 70 km des Templiers étaient le Graal absolu. Le truc inatteignable pour le commun des mortels. La course mythique à faire absolument une fois dans sa vie. Ça, c’était avant. « Oui, je refais les Templiers, mais juste en préparation de l’ultra-machin-truc », entend-on désormais dans les pelotons. Alors disputer un marathon, vous imaginez ce que ça peut représenter…

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> L’UTMB, « COURSETTE » DE QUARTIER ?

Hormis la magie de New York City qui continue d’opérer, ces 42,195 km ne valent guère plus qu’un long footing sur l’échelle des exploits sportifs. Mince, une telle distance ultra-cassante sur le bitume, ça n’a pourtant rien d’anodin. Quand les spécialistes disent qu’il faut au moins quatre semaines pour s’en remettre complètement, ce n’est pas rien ! Qu’importe : nombre de pratiquants n’hésitent plus à partir en « marathonite » 3 à 4 fois par an. « Juste des entraînements pour mieux préparer les vrais objectifs de la saison à 100 bornes et plus », justifient-ils. Tout ce qu’il y a en-dessous n’est bien sûr que pacotille.

Au rythme où l’épidémie se propage, même l’UTMB peut se faire du souci. Si le format « 100 miles made in USA » (160 km) reste un « must to do », il faut forcément faire plus long, plus dur. Pour mériter l’étiquette de « bargeot », être considéré comme « un golden warrior qu’en a dans le calebutte » et forcer le respect de ses congénères, seuls comptent les 336 km du Tor des Géants, ses montées et descentes infernales qui totalisent 48 km de dénivelé cumulé, avec des passages au-delà des 3 000 mètres. Tentez d’enchaîner 2,5 fois l’ascension + descente  de l’Everest en partant du niveau de la mer, ou d’escalader 148 fois la Tour Eiffel : le père Gustave s’en retournerait dans sa tombe et entreprendrait aussitôt la construction d’un pont suspendu jusqu’à la Lune.

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Pour quel résultat ? Quelles conséquences sur l’organisme ? L’état de fatigue extrême dans lequel se mettent certains participants, tout comme la boulimie kilométrique qui a envahi les pelotons, a de quoi inquiéter. La mort accidentelle d’un coureur japonais sur l’édition 2013 du Tor des Geants –  difficilement imputable à un manque de lucidité, vu que son écart fatal s’est produit après quelques heures de course, de nuit – n’a pas freiné le nombre de prétendants au titre de « Geants », qui continue de faire rêver. Faudrait-il rendre la participation à ce genre d’épreuve plus sélective ? Rien n’est moins sûr. Les interdire ? Mais au nom de quoi ?

> PETIT LAPIN, PETIT LAPIN, JE VEUX ETRE ROI !

En attendant, nombre de coureurs reconnaissent être victimes d’hallucinations sur les sentiers escarpés du Val d’Aoste. Combien voient des lapins roses et girafes bleues gambader joyeusement autour d’eux ? « Par moments, je me suis carrément fait peur ; un trou noir ; je n’étais plus le même », témoignent les “Toreurs” après leur course.

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D’autres, n’ayant plus la lucidité pour voir le voyant rouge illuminer leur carcasse déglinguée, sont allés trop loin. Abandon quasi-irrémédiable, à bout de forces, quand ils ne plongent pas droit vers l’enfer. Ainsi Fred, qui raconte sur son site : « L’an dernier, j’avais fini cette course en triste état et presque dernier. Une semaine après, le foie avait lâché, direction les urgences. Ensuite, ce fût l’estomac qui lui non plus, n’avait pas supporté les excès d’anti-inflammatoires. Aujourd’hui encore, je colmate les brèches. Quant aux ampoules, tendinites, contractures et compagnies, il faudra deux mois pour m’en débarrasser. Puis, ce fût un kyste sur un coup de pied à faire enlever… Et ce satané orteil toujours insensible !!! Tant d’emmerdes pour un si piètre résultat, j’enrage. »

Le bonhomme, on peut le supposer, a retenu la leçon… Eh bien non, car il conclut d’une façon stupéfiante : « Il faut que j’y retourne, j’ai trop besoin d’une revanche. On en n’a pas fini, moi… et moi. Pas question d’épargner ce physique ingrat, j’ai un esprit torturé à soulager. Cette fois, c’est bien plus qu’une quête de sens, c’est une nécessité. Mais cette fois, je sais ce qui m’attend. Cette fois, je suis prêt. »

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> QUÊTE SACRIFICIELLE

L’année suivante, bis repetita pour le très remonté Fred. Morceaux choisis : « Cette troisième nuit blanche passée est mon coup de grâce, je m’endors en marchant, seuls les bâtons m’empêchent de tomber, mes pas sont lourds, je n’arrive pas à conserver la tête droite, ni à garder les yeux ouverts, ou juste assez pour voir mon partenaire s’éloigner irrésistiblement. […] Je ne peux pas sombrer, pas maintenant. Je n’ai pas fait tout ça, pour ça ! Ce n’est pas vrai, bordel !… Je dois sortir de cette léthargie. Tout tenter ! »

Le suspense est à son comble et mon effarement, au firmament : « Tout est bon pour y arriver : je bois tout ce que je peux de boisson caféinée, j’arrête d’utiliser les bâtons (la douleur ça tient éveillé). Je m’impose plusieurs accélérations en courant pour faire monter ma fréquence cardiaque (qui dormirait avec un cœur battant à 180 pulsations/minute ?). Et surtout je me “retourne les yeux”, je remplace cette torpeur par de la fureur, je laisse sortir toutes mes frustrations, mes rancœurs, ma haine, je vide mon sac, je hurle les pires insultes. Ça va durer deux heures mais je vaincrai le sommeil. J’arrive au sommet du col, la rage coule sur mes joues … Putain !!! Ça a marché. »

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Je suis désemparé. Consterné par un tel comportement. Incapable d’admirer ce jusqu’au-boutisme qui n’a plus rien à voir avec le dépassement de soi vanté par tant de sportifs. Est-ce donc cela, ce fameux Tor des Geants dont les 700 dossards s’arrachent aussi vite que les places d’un concert de Muse ? J’admire cette “course” pour le formidable élan qu’elle génère dans tout le Val d’Aoste. Je cautionne moins la perte de conscience que le format « non-stop » provoque dans le peloton, en raison du manque cruel de sommeil. Est-ce que la même course disputée en plusieurs étapes sur le même tracé, avec des vraies nuits de repos, aurait moins de saveur ? Pas si sûr…

> JUSTE UN EFFET DE MODE ?

Le Tor des Geants, parce qu’il effraie et révèle aux participants ce qu’ils ont de plus primitif en eux, jouit actuellement d’une incroyable aura. Jusqu’au jour où les plus boulimiques jetteront leur dévolu sur une épreuve encore plus cinglée. Cela pourrait bien être la « Transpyrenea », dont la première édition est programmée en 2016 (plus d’infos ici) : 898 km non-stop d’Hendaye à Banyuls (52 900 D+), empruntant les plus hauts sentiers pyrénéens. Pfiouuuu… ! A l’arrivée, on nous apprendra que le vainqueur n’aura pas dépassé les 5 heures de sommeil en 10 nuits. P… mec, t’abuse. L’an prochain, tu t’avales la distance « cul-sec » si tu veux établir une vraie référence chronométrique. Même si, d’une certaine façon, j’admire tant d’abnégation, ce sera sans moi, les gars !

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Pour revivre le Tor des Géants (2012 / Sport+) :

Photos : ©Ferrino, ©Tor des Geants

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Commentaires (5)

  • jean claude MATHIEU

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    Bonjour, juste un petit message pour dire que j’ai fait justement la course parfaite du tor des géant, j’ai fini 4ème, j’ai repris 6h sur le premier juste le dernier jour. Je me suis à recourir tranquillement au bout de 15 jours et refais un trail de 30 km 1 mois après. Je n’avais aucun bobo, il m’a fallu 3 jours pour retrouver un cycle de sommeil normal. Je n’ai souffert à aucun moment, c’était 4 jours de bonheur que je souhaite à tout coureur. Mais effectivement il n’y a pas beaucoup de coureur qui on du vivre la course comme ça. cordialement

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    • yesben

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      Bonjour Jean-Claude,
      un grand bravo pour ton impressionnant résultat, j’admire ce que des coureurs aussi bien préparés que toi et clairement au-dessus de la mêlée sont capables de faire. Lire de tels propos me rassure et montre qu’il y a autant de façons de vivre une telle épreuve que de participants. Ton retour tonitruant sur la fin m’amène à cette question : est-ce que tu reviens aussi fort parce que tu es parti plus prudemment que la tête de course ou est-ce parce que tu penses avoir mieux géré tes temps de repos ? Quand et combien de temps as-tu dormi m’intéresserait pour mieux comprendre…

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  • jcx74

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    Bonjour, juste un petit message pour apporter mon témoignage d’un coureur lambda de milieu de peloton sur le tor 2015. Pour ma première participation, j’ai vécu cette course avec beaucoup de plaisir et d’émotions sans hallucinations et sans trop de douleurs. Aucune prise d’anti inflammatoire, juste un tube d’homéopathie d’arnica et 3 dolipranes 500 pendant les 85h de course… Le plus dur pour moi, ça été l’arrêt de la course (a st jacques, au Km 225). Tout ça pour dire que ma petite expérience sur cette course n’a rien a voir au récit que vous citez, attention a ne pas généraliser… Bien cordialement

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    • yesben

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      Bonjour JCX,
      pour commencer, désolé d’apprendre que tu as été coupé dans ton élan après une si longue distance parcourue, je suppose que la déception était grande, mais la raison doit l’emporter quand la montagne gronde et les éléments naturels se déchaînent… En écrivant ce billet, je me doutais bien que je ferais grincer quelques dents parmi les « TOReurs » qui ne se reconnaissent pas dans le témoignage jusqu’au boutiste que je cite. Va jeter un oeil sur ma page FB où il y a eu quelques réactions intéressantes (https://www.facebook.com/ben.attrapemoisitupeux).

      J’en retiens une en particulier, à propos du manque de sommeil sur une course comme le TOR qui me met mal à l’aise, en comparaison avec la TRANSPYRENEA (www.transpyrenea.fr) et ses 895 km non-stop (55 000 D+) prévus en 2016. Christian LEFEVRE, qui en connaît un rayon en matière d’ultra, a apporté un témoignage qui me semble éclairant :
      « Juste un avis sur la « Transpy ». La plupart des coureurs engagés semblent adopter une stratégie différente du TOR. Déjà ils abordent la distance comme une « rando » , avec un planning journalier à respecter. Donc des nuits de repos « presque complètes », ce qui existe peu sur le TOR (d’où les zombies précités). Il semble également qu’un coureur pourra être « arrêté » en cas de fatigue trop importante décelée.En bref , ce qui « peut passer » avec des micros siestes sur le TOR ne passera pas sur 16 jours (nuits). »

      C’est paradoxal de dire cela vu la distance et le dénivelé démentiels sur ce terrible GR10 pyrénéen, mais je trouve cette approche finalement plus raisonnable et plus proche de ma conception de l’ultra que le TOR des Geants. Mais heureusement que tous les goûts sont dans la nature, n’est-ce pas ? 😉

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  • gaston macoute

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    Salut,
    j’ai envie de dire, que le prochain pallier à ne pas franchir, que certains seront prêt à franchir, ce sera la prise d’amphetamines, je vois ça arriver gros comme une maison.
    Y’aura d’autre mort, mais la cause réel restera un sujet tabou.
    C’est ainsi.
    Sinon, moi j’ai jamais couru plus de 30 bornes, et mon rêve serai déjà de faire un jour dans ma vie l’UTMB, ce sera déjà super pour moi 🙂

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