TDS 2014 : conquérant de l’inutile… conquis (épisode 1)

Written by yesben. Posted in Comptines 2014

TDS-2014-1Une semaine après la fin de mon périple alpin, difficile de dire si j’ai complètement atterri. Une partie de moi est restée plongée là-haut dans les nuages, bien décidée à prolonger le plaisir ressenti durant 21h41 sur les sentiers du Mont-Blanc.

Cette grande kermesse de l’UTMB, c’est comme mes enfants devant un paquet de Tagada : elle me rend totalement crazy. C’est de la folie douce. Malgré le plantage de tente mardi 26 août, veille de course, sous des trombes d’eau, j’avais la big banane. Un sourire rayonnant, verdoyant, aussi simple qu’efficace. Tellement heureux d’en découdre le lendemain à Courmayeur dès potron-minet, sur le versant italien du Mont-Blanc.

Après deux CCC en 2009 et 2012 (98 km) conclues à de correctes mais pas fulgurantes 51e et 88e places, j’avais hâte de pousser un peu plus loin la chansonnette. Pourquoi les 119 km de la TDS et ses 7250 mètres de dénivelé positif, plutôt que le mythique Ultra Trail du Mont-Blanc (168 km / 9 600 D+) ?

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Ça va en faire rire certains, mais j’y vais step by step, parce que je suis un garçon prudent. Lequel, après quinze années de course à pied, pousse le curseur de la distance avec parcimonie, à défaut d’augmenter la cadence. Et puis il y a accessoirement cette promesse faite à ma tendre et chère il y a quelques années : pas de big-mountain-ultra-trail version 100 miles (160,9344 km) avant mes 40 ans. Chouette, je viens de dépasser les 39 🙂

> CHAMONIX, TEMPLE DU M’AS-TU-VU

Evidemment, dans les formats 100-120 km pentus, il y a pléthore d’options dans notre bel Hexagone. Pourquoi avoir ENCORE jeté mon dévolu sur l’hyper marketée semaine de l’Ultra Trail du Mont-Blanc ? Parce que je suis tombé raide dingue de l’omnipotente Catherine Poletti, qui mène à la baguette son bébé UTMB depuis 11 ans ?

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Ou parce que l’UTMB distribue des TUC à gogo (55 000 sur l’ensemble des ravitaillements, soit 2,5 fois plus que les 23 000 barres de céréales avalées) ? On se rapproche… Malheureusement,  mes truculents TUC ont été remplacés par des crackers de moins bonne facture cette année. Le détail qui tue. Une telle couleuvre, on ne me la fait pas avaler comme ça. Je me suis empressé, sitôt la ligne d’arrivée franchie, de porter réclamation auprès de la responsable des ravitos. Même à 4h40 du matin, il reste lucide le p’tit gars !

Oui, c’est un événement sportif ultra bling-bling où ça frime à tout-va. Se trimbaler avec son tee-shirt Kalenji et ses chaussettes Quechua dans les rues de Chamonix ? Pfff, la loose totale. Si vous voulez vous faire remarquer et pulvériser du regard, c’est jackpot assuré. Cham’, pour ceux qui ne connaissent pas, ça sent bon les Marmot, Millet, Moncler, Gore-Tex et l’immanquable North-Face, partenaire n°1 de l’UTMB qui recouvre chaque lampadaire, chaque poubelle durant une semaine.

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Comment donner tort à ceux qui détestent ce concentré de mercantilisme sur quelques km2 et ce défilé des « C’est moi qu’ai les plus belles chaussettes-montantes-ultra-blanches et the-super-casquette-Compressport-siglée-UTMB avec un gros trou au milieu pour pas faire comme les autres ? » Pompeusement baptisé « Sommet mondial de l’ultra-trail », l’UTMB ne fait guère dans la modestie, distribuant tel un monarque le label « UTMB » à des courses qualificatives dans le monde entier, moyennant une dîme.

> ARRÊTEZ DE DECAPITER L’UTMB !

Qu’on est loin de la sauvage Restonica corse et de son esprit familial, ou d’autres courses régionales qui sentent bon la bouse de vache, la tireuse de bière et les merguez-frites. Force est de reconnaître que les très empruntés boulevards autour du Mont-Blanc ont des airs d’A7 aux heures de pointe en été. Mais la magie du Mont-Blanc, ça reste néanmoins la crème des crèmes, d’une beauté inégalée…

Y’a pas à tortiller du popotin, le simple fait de prononcer “UTMB” me fait vibrer. C’est pas négociable. Cette course si particulière, que l’on s’arrache aux quatre coins du monde (77 nationalités venues des cinq continents pour l’édition 2014), continue de me mettre en transe. Impossible de m’en lasser. Est-ce le fait d’avoir Chamonix à portée de main, pauvres hères gauloises, qui nous fait banaliser voire détester cette course ?

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Discutez-en avec n’importe quel trailer étranger : il vous dira combien cette épreuve le fascine, plus encore que la Diagonale des Fous. Et combien il espère la disputer au moins une fois dans sa vie, au même titre que le marathon de NYC. Un seul chiffre, s’il fallait convaincre les plus sceptiques : du 29 au 31 août, l’UTMB figurait dans le top 5 des recherches Google en France. Vous en voulez d’autres dans le genre pour mesurer l’engouement hors normes ?

S’il y avait une seule Mecque pour l’ultra-trail, ce serait donc l’UTMB, et nulle autre. N’essayez pas une alternative, je suis d’une mauvaise foi absolue. Voilà pourquoi, chaque année, c’est le même rituel – « bordel », corrige ma douce aimée – quand arrive fin août : soit je suis à Chamonix et tout va bien ; soit j’en suis loin et je me mets à convulser derrière mon clavier, me jurant d’être à nouveau de la party l’année suivante. Ca y est, je commence presque à trépigner pour 2015, c’est malin !

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> PLUS C’EST LONG, PLUS IL EST BON L’ANIMAL

A ceux qui espèrent que je leur vais leur conter mètre après mètre mes 120 km de course, je préviens : passez votre chemin. Je n’ai croisé ni abominable homme des neiges, ni  fait de chute vertigineuse avant de retomber indemne sur mes pattes. J’ai juste échappé à une effrayante chute de pierres avant le Passeur de Pralognan (2 567 mètres), aux effets dopants très relatifs.

La montée d’adrénaline ressentie à la vue du gros caillou passé à deux mètres de ma silhouette a aussitôt laissé place à des guibolles flageolantes. Un épiphénomène qui a au moins eu le mérite de me réveiller, alors que le soleil commençait à m’anesthésier.

Bref, pas de quoi vous concocter un scénario à la Hitchcok, même si ma fantastique remontée des dernières heures de course me laisse un regret : pourquoi cette satanée TDS n’a pas duré plus longtemps, une fois de plus ? Avec une cinquantaine de places remontées dans les 30 derniers kilomètres, si je calcule bien, il n’en manquait que 50 km pour grimper sur le podium ! Terriblement rageant, mon second jour gloire attendra. La victoire au Lyon Urban Trail en 2009, c’est déjà si loin…

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Bref, pas de quoi pavoiser avec ma 94e place scratch à l’arrivée. 21h41’51 sur les sentier, record perso battu, mais à des années-lumières du stratosphérique Xavier Thévenard, vainqueur en 14h10. Encore une fois, sur un tracé aussi casse-pattes, mon irrégularité aura été consternante. A l’agonie une bonne partie de l’après-midi, puis retrouvé le soir tombé. A croire qu’il me faudra courir uniquement de nuit à l’avenir, à condition que celle-ci se prolonge le jour. « The power of night »… mais c’est quoi ces conneries ?!?

> FESTIVAL DE LA LENTEUR

Le truc le plus sidérant sur ces ultra-formats, c’est que je n’ai rien en commun avec les bipèdes qui m’entourent. Il m’est rarement possible de courir au même rythme qu’eux, quel que soit le terrain de jeu. En montagne, je m’écrase comme une m… à chaque grosse montée, me laissant avaler tout cru. Alors que sur le plat et dans les descentes, j’ai autant d’aisance qu’une mama tunisienne pour rouler la semoule. Plus c’est technique, plus je joue les avions de chasse. Ça fait longtemps que je ne cherche plus à comprendre pourquoi je suis si atypique.

Ah ah ah, un pauvre petit 5,46 km/h de moyenne au final ? « Eh bien le père Goiset, il ferait mieux de s’inscrire dans un club de bridge avec son allure de randonneur ! » Moquez-vous, et épinglez un dossard l’an prochain. On verra bien qui rira derrière la ligne d’arrivée si, sur un malentendu, vous parveniez à vous en approcher…

On m’avait prévenu combien « Sur les Traces des Ducs de Savoie » était sinueux, engagé techniquement, avec un taux d’abandons régulièrement supérieur à celui de l’UTMB. Sur les 1 584 partants cette année, 509 abandons, soit 32 % du peloton. Un coureur sur trois au tapis par jour de grand ciel bleu, ça interpelle, même si les tonnes de pluie tombées la veille ont rendu le sol très spongieux et vite massacré nos pauvres petons.

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> TERRIBLE, DINGUE & SUPERBE… TDS !

C’était sans doute le prix à payer pour les heureux élus de ce tracé empruntant quelques-uns des plus beaux sentiers de la Tarentaise, du Beaufortin et du Mont-Blanc. « Tu verras, c’est la plus chouette des festivités, mais la plus éprouvante », m’avaient prévenu quelques anciens finishers. J’acquiesce.

Mais nulle comparaison avec mon aventure d’il y a deux ans sur le cercle arctique du Mont-Blanc où, malgré l’assistance familiale, la tempête de neige avait rendu ma CCC (Courmayeur-Champex-Chamonix) très périlleuse. Vu que l’option camping sous le déluge n’emballait guère les miens, je me contenterai cette fois-ci des soutiens sms, toujours aussi réconfortants une fois dans le dur…

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Seul mon frère de club, Robocop Olivier, a osé m’accompagner. Lequel, évidemment, a encore fait des siennes : la moitié du matos obligatoire manquant, obtenu à l’arrache dans les boutiques locales pour prétendre récupérer son dossard ; le gâto-déj du matin de course oublié à la maison, remplacé par deux croissants grassouillets et sans Nutella, un comble. A croire que ça paie de jouer les touristes : une 36e place à l’arrivée, plus de 2h30 devant moi, après avoir longtemps flirté avec la 20e place. Ce monde est injustement mal fichu !!!

> MENTAL HAUT

Notre mère Nature m’a en revanche offert quelque chose d’assez sympathique : un joli petit mental de gladiator, qui fait que même les jambes en berne, m’abreuvant de mon jus de chaussettes qui puent, je ne renonce jamais, à moins d’une casse mécanique.

Vu le nombre de “renonçants” du jour, c’est peut-être ce mental en acier trempé qui me fait avancer plus vite lorsque les autres se mettent à couiner et dévisser. Difficile de croire à un manque de préparation ou une blessure soudaine chez tous ceux qui ont mis le clignotant. On ne s’engage pas la fleur au fusil sur un tel tracé alpin. Vu le nombre de courses qualificatives exigées pour voir son inscription validée, c’est tout bonnement impossible.

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Et quand je croise des gars au-delà de la 100e place qui me racontent être des triathlètes confirmés, s’enfilant 15-20 heures de sport par semaine et tatoués “Ironman (3,8 km de nage, 180 km à vélo puis 42 km en courant, d’une traite, avec des dénivelés de malades), y’a forcément un truc qui différencie les finishers des autres. L’intelligence suprême ? La gonflette ? La tartiflette ? Naaaaan… L’andouillette !

Des durs au mal. Sans prétention aucune, voilà le petit supplément d’âme qui nous anime. Cette capacité à se sortir les tripes et se faire violence quand tout va mal. C’est pourtant tellement plus simple d’abandonner. Quatre épingles à détacher… et je rentre me coucher !

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> DU BALAI, MAUVAIS ESPRITS

Lorsqu’on court autant d’heures d’affilée, même les grosses brutasses en tête de course sont inexorablement rattrapées par le doute. Et dans ce rayon, le petit diable qui sommeille en nous est un gros vicelard. Sa palette est d’une extraordinaire fourberie :

l’envie de faire une pause : à chasser de ses pensées aussi longtemps que possible, car une fois qu’on y goûte, c’est comme devant une plaquette de chocolat : encooooooreeee !!!

d’immortaliser avec le téléphone tous les panoramas qui nous tendent les bras : je ne me suis pas privé cette année, quitte à perdre quelques paquets de minutes par-ci, par-là. Vraiment pas grave, sinon je serais passé à côté de l’essentiel. Le « 100 % compète », merci mais j’ai suffisamment donné au cours des quinze dernières années.

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de faire une pause pipi au bord du chemin : sans doute le meilleur des prétextes pour souffler. Plus les heures passeront, plus la tentation des excuses bidons sera forte : l’envie de se gratter le dos (restons anatomiquement polis) ; de tremper la casquette dans une fontaine, de répondre aux sms de mes suiveurs ; de m’asseoir sur un caillou posé au bord du chemin, afin d’étirer un dos qui se fait raide comme une queue de pelle ; de vérifier le niveau de ma poche à eau des fois qu’elle aurait été transpercée par la foudre… Pas simple de résister, et je reconnais m’être un peu laissé aller 🙂

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le plus embêtant, enfin, de chasser l’envie de tout balancer : à quoi ça sert d’être autant à l’agonie dans cette interminable montée sous le cagnard, alors qu’il reste encore plus de 65 km à parcourir ? Je ne vais pas mentir, cette perspective d’envoyer tout valdinguer m’a plusieurs fois traversé l’esprit, quand je n’avançais plus à rien. En apercevant une habitante allongée dans un transat sur les hauteurs de Bourg-Saint-Maurice, j’en suis même venu à pester : « Mais dans quelle galère t’es encore allé te fourrer, espèce de grand crétin ? »

> LA-HAUT, L’EXTASE…

L’expérience aidant, j’ai évidemment balayé ces sombres idées de mon bulbe rachidien. Je l’ai déjà expérimentée : la magie finit forcément par opérer pour qui sait ne pas s’affoler. T’es au fond du trou ? Tant mieux, tu ne peux qu’en remonter ! Et un p’tit bonhomme qui se refait la cerise, ça atteint vite le nirvana. La course redevient alors « ultra-ment bonne ». Un état quasi-extatique impossible à vivre sur un 10 km sur route ou sur un marathon…

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Je ne comprendrai en revanche jamais ceux qui, atteints d’une forme de masochisme, tournent 24 ou 48 heures, voire 6 jours non-stop, sur un circuit fermé de quelques kilomètres ou sur une piste de 250 mètres. Ma quête de l’inutile a ses limites.

J’aurai  vécu bien des émotions sur cette TDS, qui m’a offert un concentré de la vie en moins de 24 heures. Rien d’aussi trépidant que Jack Bauer, certes, mais quel pied ! Des petites, des grandes joies, des détresses, des douleurs ténues, aigües, du plaisir modéré, intense, des larmes de bonheur, jusqu’à cette jubilation finale. Que c’est bon, j’en veux et en reveux encore. Mes chaussures défoncées, un peu moins…

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Je ne suis qu’un petit homme parmi d’autres, oscillant entre joies et peines, et animé par une soif intense : savourer chaque instant que la vie m’a offert. Courir n’est qu’un des ingrédients de ma quête personnelle, mais un cocktail détonant, dès lors que se mêlent tous les sentiments à la fois. Ça brasse, ça remue à l’intérieur autant que dans les muscles : je ne croyais pas ce long périple capable de me faire atteindre de tels sommets d’émotions, que je décrirai dans un prochain épisode.

Un immense merci à tous pour votre soutien et vos messages d’encouragements avant, pendant et après la course. Non pas que mon petit égo de coq ait un immense besoin de flatterie, mais quand on se sait poussé dans le dos, même virtuellement, ça aide grandement à soulever les cannes lorsqu’elles ne répondent plus.

Bien évidemment, j’ai une pensée très amoureuse pour ma Cécile et mes enfants qui supportent depuis des années ma passion égoïste. J’ai bien conscience de dépasser parfois les bornes, mais mieux vaut ça qu’un mari qui passe sa vie au bistrot… A chacun son élixir !

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> A VENIR, LA TDS, EPISODE 2 : « DIS, PAPA, POURQUOI TU COURS SI LONGTEMPS ? »

Illustration : Mathhieu Forichon – www.desbossesetdesbulles.com Photos : perso // PETZL®|Lafouche

 

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