Ardéchoise 2014 : un roitelet au pays de la petite reine

Written by yesben. Posted in Comptines 2014

Ardéchoise-2014-1Ras le képi de la “Copa del mundo” brésilienne qui inonde les ondes et le petit écran du 12 juin au 13 juillet ? L’overdose de ballon rond, je risque encore moins de la subir après ma première Ardéchoise, plus grande course cycliste en Europe. Vous voulez savoir pourquoi ?

De retour de Saint-Félicien, capitale mondiale du deux-roues chaque année en juin, ne comptez pas sur moi pour venir brandir la pancarte « A bas les footix ! ». Je n’ai pas honte à le dire : le “footcheball”, je le bénis, même si cela fait déjà 17 ans que j’ai remisé crampons et protège-tibias.

Durant quinze années de pratique, de 7 à 22 ans, ce sport de gros bourrins m’a apporté autant de blessures que de joies. Ironie du sort, c’est durant mes phases de convalescence que j’ai appris à aimer la douleur du coup de pédale, le cul qui dérouille sur la selle et les coui… anesthésies par les vibrations de la route.

Ardéchoise-2014-2

> POULIDOR & MUSCADET

Pendant des semaines, alors que j’attendais chaque week-end pour aller “gratter de la patte” sur la fiévreuse piste de ma disque-cocotte-en-tek campagnarde, je trouvais systématiquement l’énergie pour me relever quelques instants plus tard. Tout ça pour accompagner la bande de cyclos de mon paternel dans leurs virées « poulidoresques », qui s’achevaient systématiquement par une petite collation-muscadet dans une cave. Sympa l’after.

Mémorables souvenirs de jeunesse, tout ça grâce aux pépins footballistiques ! J’éprouvais beaucoup de plaisir à écouter les anciens me narrer leurs exploits, et souvent nos conversations à l’heure de la messe se terminaient sur « cette-incroyable-cyclo-qu’il-faut-absolument-faire-au-moins-une-fois-dans-sa-vie : l’ARDECHOISE ».

Cette terre d’un autre monde, si loin de ma natale Loire-Atlantique, et pourtant reliée à un fil : la Loire, qui prend sa source au Mont-Gerbier-des-Joncs, « là où les coureurs grimpent et suent des litres à la force du mollet chaque année ». A chaque fois, j’ouvrais grand les écoutilles et me laissais abreuver…

Ardéchoise-2014-3

Cette belle litanie de mes maîtres à pédaler,  je la récite encore par cœur.  Je revois la pupille de mon interlocuteur se dilater et s’humidifier à chaque fois qu’il me déclamait son poème ardéchois, et 50 fois au moins, je me jurais de promener un jour ma modeste bicyclette sur ces terres sacrées.

> LA CHÂTAIGNE, MIEUX QUE LA PIZZA ITALIENNE

Près de 20 années se sont écoulées, et l’on ne peut pas dire que le coureur à pied que je suis devenu ait beaucoup parfait sa connaissance des petits, grand plateaux et moyeux. Par le hasard de mes rencontres sportives, l’Ardéchoise m’est revenue en plein dans le pif l’an dernier, sans que cela m’offusque. Puisque c’était ma destinée, comment refuser l’alléchante invitation d’Olivier, un ancien cycliste de très bon niveau, devenu compagnon de trail dans mon club ?

Ardéchoise-2014-4

Quand on est un novice de mon espèce, c’est hyper compliqué de s’y retrouver parmi les alléchantes propositions de l’organisation : les Boutières, les Sucs, la Châtaigne, les Gorges, les Doux et pas moins d’une dizaine d’autres formules… C’est mieux qu’à la pizzeria mais comme sur une carte en italien quand on n’en maîtrise ni le verbe ni les conjugaisons : tu te sens tout couillon.

Mazette, c’est qu’après 22 éditions, la recette de l’Ardéchoise s’est sacrément étoffée. Après d’âpres négociations avec mon « directeur sportif » Olivier en début d’année, j’ai fini par jeter mon dévolu sur « La Volcanique ». Il sonne bien ce nom. Il claque merveilleusement avec mon tempérament sportif « tout feu, tout flamme ». Ça bouillonne de l’intérieur et ça finit à un moment par entrer en fusion. Et alors là… Run my chicken,  envoyez Simone !

Ardéchoise-2014-5

> « DEGAGE, GROSSE MERDE ! »

Le petit détail qui tue, c’est que je n’ai jamais autant pédalé de ma vie : A mon menu, 176 km, 3210 mètres D+, 8 cols à franchir, dont le fameux Mont-Gerbier-des-Joncs où la Loire prend sa source, à 1 416 mètres d’altitude. Sympathique programme, mais pas de quoi en faire tout un fromage. Pour s’engager sur la « Volcanique », l’organisation recommande chaudement « d’avoir 3 000 km dans les pattes le début de l’année. » Ben voyons. Comme si je n’avais que ça à faire.

Trois sorties à vélo, dont une petite cyclo de 135 km dans le Beaujolais, suffiront. L’entraînement trail fera le reste. C’est donc en presque-puceau-cycliste que je me suis présenté sur la ligne de départ  avec le 3e larron de notre bande, Jean-Philippe, au passé cycliste autrement plus étoffé que le mien. Sans appréhension aucune, mais avec le souvenir de m’être fait pourrir par un énervé du peloton quelques semaines plus tôt dans une descente sinueuse du Beaujolais.

Ardéchoise-2014-7

Avant même de comprendre ce qui m’arrivait, il se portait à ma hauteur et me balançait : « T’es vraiment une grosse merde en descente, dégage ! ». Sympa l’esprit cycliste ! Je ne me souviens pas avoir reçu pareil encouragement en course à pied après quinze années de pratique…

> PELUSSIN, C’EST PAS SAINT-FELICIEN

Cela dit, question pilotage et orientation, j’ai pas de quoi pavoiser. Mais vraiment pas. Dans le genre top blonde parmi les plus blondes, je me suis posé ce vendredi 21 juin 2014. Et même imposé à plates coutures. J’avais donné rendez-vous à 17h pétantes à Olivier sur le lieu de nos exploits du lendemain. Mais une fois à l’entrée du camping-dont-je-connaissais-pas-le-nom, aucun loustic.

Ardéchoise-2014-8

« Bah si, je suis là », me répond-il au téléphone. « Ben non, je te promets, t’es pas là. » « Mais t’es où ? », me lance-t-il. La charmante dame du camping me confirme le lieu et alors là… « Mais qu’est-ce que tu fous à Pélussin !!! L’Ardéchoise c’est à Saint-Félicien, en Ardèche ! », me balance mon Olivier, incrédule.

Là, c’est clair, je me sens blonde super décolorée. Oh la tête amusée de la gérante du camping de Pélussin ! Je la vois se marrer encore… A 1h10 et 55 km de « routes à lapin » près, j’avais visé juste… L’Ardéchoise dans la Loire, il ne doute de rien le bonhomme ! Bon, une bonne crise d’agacement-fou-rire plus loin, j’arrivais à mon lieu de destination. Le bon cette fois-ci, vu le nombre de vélocipèdes qui tournicotaient déjà dans tous les sens.

Ardéchoise-2014-9

> ROITELET DE L’ENFLAMMADE

Avec une telle entrée en matière, et en repensant à ma dernière expérience “cyclo” où je m’étais fait traiter de chauffard de la route, je me demande ce que je suis venu faire ici… Heureusement, l’accueil chambreur d’Olivier me remet vite dans les rails.

Rien de tel pour piquer mon orgueil : vont voir ce qu’ils vont voir demain, ces rois de la pédale que je grille régulièrement dans les pentes en courant le week-end. Certains feront moins les malins, même si ça doit me coûter une paire de mollets !

Et dans la foulée, rien de mieux qu’un petit match de gala “mundial” France-Suisse, suivi sur écran géant au camping sous une température estivale, pour nous gonfler le moral à bloc. 6-2 pour les Bleus, ça fera un bon développement 54/12 dans le Mont-Gerbier demain. Ben, le roitelet de l’enflammade ! « 4-2-4, tout pour l’attaque », me répétaient mes éducateurs footballistiques dans mon village natal. Fanfaronne, mon garçon, tu feras moins le malin dès que la route s’élèvera demain…

Ardéchoise-2014-10

Cette Ardéchoise, mine de rien, il faut la vivre de l’intérieur pour y croire. Ce village de 1 200 âmes, apprécié pour ses crottins de chèvre, voit affluer chaque année en juin 15 000 pèlerins armés de rustines.

Fagotés de rutilants célérifères pour les uns, antiques quadrupettes pour les autres. Ligne « coton-tige » pour les plus entraînés venus faire péter le chrono, bedaine « choucroute garnie » pour ceux qui craignent de manquer de réserves pour rallier l’arrivée.

> DES BENEVOLES AUX PETITS OIGNONS

On m’avait vanté la qualité de l’organisation, j’ai été plus qu’épatapoustouflé. Des sas disséminés au petit matin dans les ruelles du village, des départs échelonnés tous les quarts d’heure, et comme par magie, on est tous parti à l’heure, sans heurts ni bouchons.

Ardéchoise-2014-11

Essayez d’agglutiner 15 000 véhicules au péage de Saint-Arnoult-en-Yvelines à l’approche de Paris, ça risque de carrément mal se passer. Je ne donne pas plus de 10 mn avant que les sauvages du volant se mettent sur la tronche !

Tiens, il semblerait que le cyclos ne soient pas si cons que l’énergumène croisé dans le Beaujolpif. Des sourires, des mots aimables, des gars qui s’enquièrent de savoir d’où je viens et si je suis content d’être là : cette légendaire Ardéchoise m’a l’air aussi savoureuse qu’une crème de châtaigne Clément Faugier.

Ardéchoise-2014-11 bis

Je me souviendrai vers l’au-delà et l’éternel de ce délicieux moment où, caressés par un généreux soleil matinal, nous prîmes le départ, mon Jean-Phi et moi, de ces « volcaniques » 176 km. Pour que j’en vienne à conjuguer au passé simple, c’est que ça valait carrément le déplacement…

> UN BOY’S POUR BERNARD MINET

Et notre Olivier docteur ès Nutella ? Déjà pris la poudre de noisette depuis un moment, parti à l’assaut du gargantuesque circuit de 278 km et 5 370 mètres de dénivelé positif à avaler. Moi qui le croyais gourmand, nous l’avons vu se transformer en super ogre-glouton. Et dire qu’il terminera brillant 3e au scratch 9h43 plus tard, à un ahurissant 28,6 km/h de moyenne !

Ardéchoise-2014-12

Pour un p’tit gars qui n’a pas touché au bicycle les trois premiers mois de l’année, obnubilé par son marathon de Barcelone (bouclé en 2h40), c’est… J’en perds mes mots. Bioman et toute sa clique, pfff… des ridicules petits joueurs.

Olivier, aujourd’hui je dois te l’avouer : « Beaucoup d’hommes rêvent d’avoir ton courage, ta force, ton savoir ; héros de l’avenir, personne ne pourra égaler ta vaillance, ta témérité. Les forces du mal du vide sidéral, Olivier, tu sauras les briser. » S’il t’avait côtoyé, je suis sûr que Bernard Minet t’aurait créé un personnage à la hauteur de ton immense talent. Il fallait que ce soit dit !

> TOURNICOTI, TOURNICOTONS…

Ardéchoise-2014-13

Evidemment, tortues Ben & Jean-Phin’ont pas cherché à rivaliser une micro-seconde. Nous n’étions là que pour profiter… et nous nous sommes bardés. Je ne soupçonnais pas le vélo capable de m’apporter pareille jouissance, moi qui gardais surtout des souvenirs de douleurs voire de torture lors de chacune de mes phases de rééducation footballistique.

600 mètres de dénivelée d’entrée dans la tronche ne pouvait de toute façon que calmer nos ardeurs. Même Heidi dans ses collines et Charles Ingalls dans ses prairies n’ont jamais pu éprouver pareille jubilation. C’est pas possible. Qu’elle est belle, l’Ardèche verte ! Qu’elles sont sauvages et enivrantes, ces petites routes tournicotantes…

Ardéchoise-2014-14

La première vraie surprise est tombée à Lamastre après 30 km. « Tu vas voir l’accueil dans les villages », m’avait susurré Olivier sans m’en dire plus. Oh que oui, nous avons été servis ! Sans même parler des 8 000 formidables bénévoles souriants qui œuvrent avec ferveur pour que cette fête de quatre jours par an soit grandiose, chaque bourgade traversée met un – doigt, bras, que dis-je, corps tout entier ! – honneur à accueillir le peloton.

> FIEVREUSE ARDECHOISE

Et dans ce domaine, c’est à celle qui fera preuve du plus d’imagination et d’enthousiasme : banderoles, guirlandes à travers lesquelles nous devons zigzaguer, fanfares à se faire dézinguer les tympans, hurluberlus repeints de la tête aux pieds qui s’agitent dans tous les sens, vélos géants fabriqués avec je-ne-sais-quels-matériaux exposés à la sortie du village, ravito saucisson maison-TUC-sandwichs au chèvre-biquette locale…

Ardéchoise-2014-15

Bââââââââââââââââââ !!! Cette Ardéchoise, c’est un musée vivant, un traquenard à Gérard. Comment enquiller les kilomètres sans prendre le temps de savourer et de communier ? Pour peu, je serais reparti de chaque ravito avec du houblon dans le bidon. Mais avec une telle chaleur, ces routes sinueuses et mon inexpérience, il valait mieux raison garder et le guidon correctement orienter.

Et je n’ai pas vu la journée passer franchement. Même si mon Jean-Phi m’a logiquement fait péter dans l’avant-dernière grosse ascension, j’ai continué à me barder tout le long, même si à chaque coup de pédale ça commençait à couiner de partout.

La nuque raide comme une queue de pelle, les cervicales en carafe, le cul plat comme une galette de sarrasin, tout ça parce que Monsieur, trop accaparé par sa course à pied, n’a osé enfourché sa belle bicyclette chromée qu’à trois reprises depuis le début de l’année.

Ardéchoise-2014-16

 > LE PLUS HEUREUX DES ZEROS

Pas mécontent au final d’entendre les acclamations, klaxons et gyrophones annoncer l’arrivée proche, au bout de de 7h25 de divine souffrance, à un très modeste 23,7 km/de moyenne. A moi Pélussin, crotte de rototo, Saint-Félicien ! 440e sur un peu plus de 1 200 partants sur la Volcanique, y’a pas de quoi s’agiter aux rideaux, et j’étais là tout sauf pour chercher une place que je n’accrocherai de toute façon jamais. Et qui ne m’apporterait pas, à coup sûr, l’ivresse ressentie dans les deux derniers kilomètres.

Ardéchoise-2014-17

Ah ce petit coup de cul surprise en guise de cerise à l’eau de vie, je ne l’avais pas vu venir. Tandis qu’il me déchiquetait ce qui me restait des mollets, j’ai versé une petite goutte que j’ai d’abord crue de sueur puis de pluie tombée d’un ciel azur, puis une larme, et d’autres…

Putain, je chiale comme un gosse, je jubile, j’ai triomphé de mon Tour de France, je suis le champion du monde de rien du tout et pourtant le plus heureux des hommes !

Ardéchoise-2014-18

Y’a vraiment que la naissance de ses enfants pour ressentir plus forte émotion. Bon, ok, le mariage, c’est pas mal aussi, et la première fois où tu arrives à pisser debout assez jubilatoire itou (cherchez pas à comprendre, mesdames).

Cette Ardéchoise, dont j’attendais monts et merveilles, m’a emmené encore plus haut que j’espérais dans les sensations et émotions. Ce n’est pas cette nouvelle expérience haute en couleurs qui risque de réfréner mon immense amour pour le sport…

Ardéchoise-2014-19

Rétrolien depuis votre site.

Laisser un commentaire

Time limit is exhausted. Please reload CAPTCHA.

Follow me

Une suggestion ou idée ?

< < C'est ici !

Reproduire un texte ?

Pas de souci les amis ! Mentionnez juste ©AMSPT avec l'URL